Le plaisir des relations simples
Après notre 4e week-end à Artigas, je suis maintenant en mesure de dire que « alla », c’est à dire « là-bas loin », expression utilisée par notre entourage pour dire « en France », nous avons perdu de vue l’existence des rapports simples entre les gens.
Je ne sais pas vous, mais en ce qui me concerne, la plupart du temps où je vois des gens, il y a un « but » autre que de se voir et de partager du temps ensemble. Comme un acte - support de l’échange, destiné à lui donner une contenance ou du moins un point de départ. On va au restaurant, tu viens manger chez moi, on fait une pendaison de crémaillère, on va faire les boutiques j’ai besoin d’un nouveau jean, tu viens goûter chez moi, on va au cinéma, on va voir une expo, on va à la plage, on va visiter mon nouvel appartement, on va s’embrasser sur un banc, on va accompagner les enfants faire du vélo… Il semblerait que nous ayons nécessairement besoin de « faire », pour nous rencontrer. Comme si la rencontre nécessitait une justification. La situation où l’on « fait » le moins, c’est peut-être lorsqu’on se retrouve autour d’un verre. Mais là encore, c’est le plus souvent « On va boire un café en ville ? On va dans un bar ? » etc. Il y a un contexte qui apporte de l’animation à la rencontre. Peut-être me diriez vous alors « Viens boire un café chez moi ? » … d’accord. Mais si l’on supprime le café, pouvez-vous citer quelqu’un dans votre entourage qui vous ait invité récemment : « Tu viens chez moi ? », sans aucune action qui suit ? J’ai beau réfléchir, mais il me semble que la dernière fois que j’ai fait une invitation de la sorte, j’avais 7 ans. Aujourd’hui, les rares personnes que je vois pour ne rien faire d’autre que de profiter de leur présence sont les gens très proches de moi, que je connais profondément et depuis longtemps.
"Aca", ici, il semblerait que tous les rapports fonctionnent ainsi. Bien sûr, les gens nous invitent à manger chez eux, ou à faire des asados. Mais la majorité de nos rencontres se déroulent dans une voiture, sur une place ou dans un parc. Avec rien d’autre que nous, notre rencontre, et un objet : le maté. Il n’est pas rare que dès le premier contact avec quelqu’un, si le courant passe, les aurevoirs se terminent pas un « On s’appelle se week-end pour aller boire un maté sous le pont », et sous le pont (Note de l’auteur : le pont qui mène à Quarai, au Brésil), je vous assure qu’il n’y a rien d’autre que de l’herbe, des bancs, des voitures, des motos, des scooters et des gens qui boivent du maté. Les uruguayens, du moins tout ceux qu’on a rencontrés jusque là, n’ont pas peur des blancs dans les conversations. Ils ne ressentent pas le besoin d’amorcer une relation toute neuve avec quelqu’un d’inconnu en organisant un rendez-vous dans le but de faire quelque chose, histoire d’être sûr de toujours avoir quelque chose à dire. « Si ça se passe bien, on pourra toujours parler du film… » « Si on n’a rien à se dire, on pourra toujours parler de l’artiste peintre… ». Ils tirent directement plaisir de l’essence de la relation, celle de la communication, articulée autour du rituel de partage de cette boisson dont le pouvoir ne cesse de m’impressionner…